Hommage à Robert Girond

19/09/2021

Le 18 septembre 2021, Monsieur le Maire a rendu hommage à Robert Girond, ancien maire de Saint-Ouen, de 1971 à 1995. Le discours prononcé peut être visionné en cliquant ici. 


Né en 1921, année de bon vin comme il aimait à le dire, Robert Girond aurait eu 100 ans...

Et comme je suis heureux d'avoir l'occasion de prononcer aujourd'hui ces quelques mots devant un école qui porte son nom, selon le souhait émis par le conseil municipal du 2 septembre 2004.

Si nous sommes réunis aujourd'hui tous ensemble, c'est bien pour fêter cet anniversaire... Mais c'est également pour se souvenir d'un homme.

Et pour rendre hommage à son œuvre.

Les politiques aiment généralement parler de leurs réalisations, de leurs projets. Les maires aiment bien détailler devant les habitants toutes les bonnes raisons qu'ils ont eues de voter pour eux.

Et dans cette course à la justification, à la communication, à la mise en valeur... Nombreux sont ceux qui oublient de dire tout ce qu'ils doivent à leurs prédécesseurs. Comme si, au fond, la commune était apparue au début de leur mandat, sortant miraculeusement de nulle part, du chaos ou de l'immensité vide.

Aussi, si j'ai souhaité aujourd'hui organiser cette cérémonie, c'est bien pour publiquement réaffirmer tout ce que je dois à Robert Girond ; tout ce que nous devons, Audoniens et Audoniennes, à Robert Girond.

C'est d'ailleurs ce qu'il fit souvent lui-même au cours de sa vie politique lorsqu'il célébrait dans ses discours le travail et l'héritage de ses prédécesseurs, et notamment de son ami Maurice Schatteman.

Alors, que nous a appris celui qui fut un enseignant hors pair, à l'école et dans la vie ?

Il n'a eu de cesse de nous donner, tout au long de son existence, une leçon de courage, d'humilité et d'histoire...

C'est le courage qui le conduisit, dès 1942 à rejoindre la Résistance (ce qui lui valut d'être élevé au grade d'officier de la Légion d'honneur)... Un combat dont il parla d'ailleurs peu (c'était son « jardin secret », comme il disait) : il fallut attendre 1994 pour qu'il s'exprime publiquement, racontant la libération de Vendôme ou les faux papiers qu'il apportait aux STO.

Et croyez-moi, il fallait être courageux pour rejoindre la résistance (Robert Girond notait d'ailleurs non sans malice, car l'homme avait de l'humour, que le courage était parfois venu après le départ des Allemands, lorsqu'on était passé en une journée de 200 à 800 libérateurs de Vendôme !).

La vérité, et il aimait dire que « L'histoire est une grande dame qui impose le respect de la vérité », c'était d'écrire au responsable de la résistance de Loir-et-Cher le 6 juin 1944 que 20 hommes en Vendômois étaient prêts à prendre les armes pour soutenir le débarquement allié... 20 hommes seulement.

A-t-il été amère en se remémorant ces souvenirs ? S'est-il vanté de s'être trouvé, au péril de sa vie, dans cette minorité résistante, agissante et héroïque ? Non... Il écrivit plutôt : « Je comprends la peur qui tiraillait la grande majorité des autres ».

Quelle leçon d'humilité, pour nous tous... Quelle tolérance dans cette phrase, dont nous pourrions nous inspirer jusque dans notre actualité récente.

Alors qu'aujourd'hui, nous avons le jugement facile, l'anachronisme à portée de bouche. Alors que, certains de notre esprit critique, sûrs de nos bons choix, nous avons si souvent tendance à trancher, à dire ce qui est le bien et ce qui est le mal... Robert Girond, par ces mots, nous exhortait à comprendre, à aimer les autres, jusque dans leurs faiblesses ou leurs travers.

C'est au fond cette passion des autres, née dans la Résistance, qui lui donna le virus de la chose publique... A 24 ans, juste après la Libération, il poursuivait son engagement, sans les armes cette fois-ci, comme membre du conseil municipal et adjoint de Vendôme. La machine était lancée et le parcours politique qui suivit fut brillant.

Un parcours brillant sur lequel Robert Girond porta, là encore, un regard plein d'humilité et de retenue. Ne disait-il pas, simplement :

« Nous n'aurons eu l'ambition que d'être des hommes de bonne volonté désireux de construire un avenir meilleur ».

Au-delà du courage, de l'humilité, nous devons à Robert Girond une leçon de fidélité.

  • Fidélité à l'idéal socialiste, à cet espoir dans un monde plus juste, plus solidaire, plus fraternel, plus généreux qui reste encore vivant en ce début du XXIe siècle.

Un socialisme intelligent et respectueux (bête et insolant) qui l'amena à faire preuve d'une très grande tolérance vis-à-vis de celles et ceux qui ne partageaient pas ses opinions politiques... Il a su travailler au service de sa commune avec tous les humanistes, au-delà des clivages, très respectueusement.

Jusqu'au curé de Saint-Ouen Marcel Valuche dont Robert disait au moment de son départ en retraite : « soucieux de soulager ou de secourir les plus démunis ou les plus malchanceux, nous avons fait un bout de route ensemble, certains la trouveront longue ».

Je crois que les murs de la fameuse Sacristie, s'ils étaient appelés à la barre, pourraient témoigner de ces amitiés, nées dans la résistance, au Département ou à la Région, qui rassemblaient des hommes et des femmes de bonne volonté sachant s'entendre pour le plus grand bénéfice de tous sans rien renier de leurs valeurs.

  • Fidélité à sa ville, bien sûr, dont il fut le maire bâtisseur de 1971 à 1995. Et quand je dis bâtisseur, ce n'est pas un vain mot. Alors qu'en 1968, Saint-Ouen comptait 1368 habitants, la ville en avait 3.000 dans les années 90... 120 % d'augmentation au cours de l'ère Girond... Franchement, un tel score ferait rêver pas mal d'élus aujourd'hui.

Cette croissance exponentielle reposa sur un développement économique rapide : car Robert Girond aimait les entrepreneurs à une époque où le travail était une valeur forte, empreinte de noblesse, pleinement de gauche, et il s'évertua toujours à faciliter, à accompagner, les projets de celles et ceux qui prenaient des risques pour créer de l'emploi et de la richesse.

Ce rôle de bâtisseur dépassa d'ailleurs très largement le territoire municipal tant il s'est battu pour l'arrivée du TGV ou la création de la Communauté du Pays de Vendôme (un combat de plus de 20 ans) ; mais aussi sur les bancs des assemblées départementale et régionale...

Et puis au fond... La ville de Vendôme mesure-t-elle tout ce qu'elle lui doit... Lui qui fut adjoint, conseiller départemental de Vendôme puis d'une moitié de la ville de Vendôme (à la suite d'un redécoupage électoral qui vit la naissance du canton de vendôme 2) ; lui qui fut surtout le modèle (j'allais dire le père politique) d'un de ses plus grands maires, à savoir Daniel Chanet.

Fidélité à la ville... Mais aussi et surtout fidélité à l'Homme, avec un grand H.

  • Au fond, Robert Girond était un humaniste de la Renaissance. Il était de ceux qui pensaient l'Humanité libre de toute tutelle (divine ou idéologique), capable de faire le Bien, grâce à son esprit critique, capable de devenir meilleure et de faire de grandes choses.

Il aurait pu faire siens les mots de Marsile Ficin, ce philosophie du XVe siècle qui écrivait :

"...L'homme... mesure la terre et le ciel, scrute les profondeurs... et le ciel ne lui paraît pas trop haut, ni le centre de la terre trop profond... Il aura quasiment le même génie que l'auteur de ces ciels, et en une certaine façon, il pourrait lui-même les créer ! L'homme ne veut point de supérieur ou d'égal..."

Et cet optimisme foncier, cette croyance en l'homme, alliés à un caractère fort, une personnalité hors du commun, lui a permis de déplacer des montagnes tout au long de sa vie politique.

Car il y en avait des montagnes à déplacer ou à escalader (des montagnes administratives surtout, car Robert Girond était une sorte de Kafka audonien n'hésitant pas à rappeler dans ses discours devant le Préfet ou le Député les lourdeurs de la machine étatique et les freins mis au développement des projets municipaux).

Sa croyance en l'homme n'excluait cependant pas le contrôle, ou quelques remontrances bien senties. Des Audoniens se souviennent (mon oncle me le racontait quand j'étais jeune) d'une réplique cinglante quand ils venaient trouver le Maire pour une doléance particulière et que Pépère leur rappelait qu'ils n'avaient pas voté aux dernières élections municipales...

Surtout, l'optimisme de Robert Girond lui a permis de faire un pari : celui de la solidarité.

  • Solidarité vis-à-vis des Anciens, avec l'inauguration du Foyer Soleil en 1978 (lieu qui lui fit connaître tant de moments heureux, mais aussi d'émotion et de tristesse).
  • Solidarité avec les jeunes qui furent au cœur de la vie de ce défenseur acharné de l'éducation populaire :
  • Des jeunes à qui il inculqua peut-être plus encore des valeurs que des disciplines. Écoutons-le parler de son ancien métier de maître d'école, en 1986, à l'occasion de l'agrandissement des locaux scolaires.

Il disait :

« Je crois avoir formé des hommes et des femmes qui ne sont ni des révolutionnaires, ni des sceptiques, ni des pétroleuses et je n'en veux pour exemple que l'esprit d'équipe et l'esprit désintéressé qui règne dans cette école et dans cette commune ».

  • Solidarité avec les jeunes comme sportif et entraineur aussi (nous n'oublions pas qu'il fut l'artisan du triomphe des benjamines basketteuses, championnes de France en 1971).

Des jeunes au centre de projets un peu fous, avouons-le (que peu de monde aurait l'énergie de porter aujourd'hui) : la ferme de Houssay et ses mouvées de béton renommées et le centre de Hauteluce (qui accueillit tant d'enfants, d'adultes et les fameuses classes de neige de René Hamelin).

  • Solidarités professionnelles avec le rôle que Robert Girond joua dans la création ou le développement de l'Amicale des employés communaux ou de la mutuelle de retraite des instituteurs...
  • Solidarité entre les habitants, enfin. Robert Girond n'a jamais manqué de saluer le rôle des bénévoles et des citoyens engagés. En 1986 par exemple, pour la part qu'ils prirent dans la décoration de l'agrandissement de l'école ou dans la confection des pupitres pour les ordinateurs de la salle de documentation.

Des bénévoles à qui nous devons tant, encore aujourd'hui : je pense notamment au gymnase Maryse Bastié, réalisé en 1972 à la force du poignet par les habitants de la commune.

Et c'est finalement ça, peut-être le miracle Audonien. Celui qu'incarna Robert Girond : une commune riche de ses habitants.

À la différence d'autres villes, nous n'avons pas un magnifique château Renaissance ou une très belle église gothique. Ce n'est pas faire injure à notre commune que de dire combien notre patrimoine est précieux (je pense à nos closeries, au puits de la Jousselinière, à Villeporcher, à divers vestiges archéologiques) mais modeste.

Cependant, nous sommes riches d'un patrimoine humain exceptionnel... Et comme le disait le philosophe Jean Bodin, « Il n'est de richesse que d'homme »...

  • Robert Girond a incarné cette maxime en faisant des Audoniennes et des Audoniens le patrimoine culturel et immatériel de cette commune.
  • En faisant de Saint-Ouen non pas un enchevêtrement de rues et de réseaux, une juxtaposition de bâtiments... Mais une communauté solidaire d'hommes et de femmes qui avaient envie de construire un destin commun. Quand on me demande (souvent) où est le cœur de Saint-Ouen, j'aime répondre que nous en avons plus de 3200...

Au moment de conclure ces quelques mots, je voudrais vous dire que je ne me suis pas forcément senti très légitime au moment d'écrire ce discours.

Certes, je suis maire de Saint-Ouen et, d'une certaine manière, un héritier, comme le furent mes prédécesseurs.

Mais beaucoup d'autres Audoniens, présents aujourd'hui, auraient pu prendre la parole et raconter mieux que moi leur Pépère, avec beaucoup de saveur, d'anecdotes, de souvenirs de voyages à Hauteluce, de repas ou de parties de cartes...

Car en ce qui me concerne, j'ai connu Robert Girond à la fin de sa vie politique, notamment lorsqu'il siégeait au CA du lycée Ronsard comme conseiller régional (et moi comme représentant des enseignants).

Pourtant, je me retrouve dans son parcours (nous sommes tous deux nés dans une famille populaire, à Vendôme, où nous fumes tous deux élus avant de devenir ensuite Maires de Saint-Ouen).

Je me retrouve dans les valeurs de gauche qu'il défendit toute sa vie ; dans son attention aux plus faibles, aux plus fragiles.

Je me retrouve dans sa passion de l'histoire, dans son ouverture d'esprit, dans sa science des hommes, et son envie de construire avec celles et ceux qui ont le bien commun chevillé aux corps.

Je me retrouve dans la proximité qu'il érigea en boussole politique, lui qui connaissait chaque habitant ; lui qui prenait sa voiture le dimanche matin pour visiter chaque ha communal et vérifier l'état des routes lors de sa « commission voirie personnelle » (ceux qui me connaissent savent que j'ai juste remplacé la voiture par la trottinette) ; lui qu'on n'hésitait pas à déranger dans sa classe, lorsqu'il était secrétaire de mairie, en cognant à sa fenêtre quand on avait besoin d'un papier d'état-civil.

Je me retrouve enfin dans cette conscience aiguë qu'on n'est rien sans les autres.

Les autres, ce sont les hommes et les femmes dont on s'entoure pour porter collectivement des projets. Je pense ici aux grognards de Robert Girond pour reprendre l'analogie napoléonienne... À la Vieille garde composée de maréchaux prestigieux, fidèles et courageux. Les Hamelin, Boulay, Dupuis et tant d'autres encore... Ce sont eux qui devraient parler aujourd'hui à ma place.

Robert Girond savait ce qu'il leur devait, tout comme je sais ce que je dois à Jean Perroche, à mes adjoints et à mes conseillers. Même quand la charge est lourde, même quand la solitude du pouvoir se fait mordante, ils sont là près de moi. Sans eux, je ne suis rien.

Les autres, c'est aussi et surtout la famille (et singulièrement Marie-Françoise car derrière un grand homme se cache toujours une femme). La famille qui fut un soutien indéfectible et apporta le havre de paix indispensable à celui qui a tenu sans fléchir.

Robert Girond était un maire emblématique qui reste d'une extraordinaire modernité. Car ce passionné d'histoire regardait toujours vers l'avenir et cherchait à le préparer...

Dépasser l'immédiateté de l'instant pour imaginer demain.

C'est ce que nous attendons tous d'un élu, plus encore aujourd'hui qu'hier. Pourtant peu d'hommes ou peu de femmes, incarnent cette espérance.

Peu d'hommes ou de femmes incarnent ce poème de Kipling qu'il aimait tant et qui semble avoir été écrit pour lui.

Car Robert Girond :

  • Resta digne en étant populaire ;
  • Il resta peuple en conseillant les rois ;
  • Il aima tous ses amis en frère ;
  • Il fut bon et sage, sans être moral ni pédant ;
  • Il pensa sans n'être qu'un penseur.

Il connut les Rois, la Chance et la Victoire. Mais plus important que tout le reste... Il fut un homme, et quel homme. Il fut sans nul doute, si sa famille accepte de le partager, le Père de Saint-Ouen. Nous père. Et nous resterons d'une certaine manière, habitants de la commune, ses fils et ses filles.

Je laisserai les phrases de conclusion au maire Bedu qui prononça un très beau discours lorsqu'il inaugura la nouvelle mairie en 1966.

Un discours qui avait été écrit par son secrétaire de mairie... Un certain Robert Girond (c'est donc lui qui parle autant que le maire).

« Je voudrais me tourner vers l'avenir en souhaitant que cette mairie conduise les édiles municipaux à continuer l'œuvre entreprise. Que ces locaux confortables ne nous fassent pas oublier que beaucoup reste à faire. Je suis sûr pour ma part qu'ils continueront à prouver que notre commune est bien vivante et qu'elle ne fait que commencer sa croissance ».

J'essaierai, nous essaierons, d'être dignes de cet héritage.