Journée contre les violences faites aux femmes

18/12/2021

Le 16 décembre 2021, se tenait à Saint-Ouen en présence de nombreux élus, d'associations, de représentants de la justice, des forces de l'ordre, des services de l'État et des collectivités territoriales, une journée territoriale consacrée aux violences faites aux femmes. La presse est revenue sur cet événement (cliquer ici).

Monsieur le Maire a prononcé à cette occasion le discours suivant.


"Je suis très heureux de vous accueillir aujourd'hui dans la salle des associations de Saint-Ouen.

Heureux n'est probablement pas le mot juste tant il apparaît en ce début du XXIe siècle incompréhensible que nous devions organiser une journée consacrée à la lutte contre un fléau qui ne devrait pas concerner une société adulte, éduquée, civilisée comme la nôtre.

Cette journée se tient :

  • Plus de 45 ans après l'ouverture du premier refuge pour femmes battues à Clichy ;
  • Plus de 30 ans après le lancement de la première campagne nationale d'information contre les violences conjugales et la création des commissions départementales d'action contre les violences faites aux femmes...
  • Près de 30 ans après l'adoption par l'ONU de la déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes...


Et je pourrais continuer d'égrener tous les progrès législatifs, tout l'arsenal juridique mis en place ces dernières décennies destinés à toujours mieux protéger les femmes victimes de violences... Mais la seule question qui vaille aujourd'hui est bien celle-ci : où en sommes-nous ?

Eh bien, le constat est assez terrible. En 2020, 102 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire : un meurtre tous les 3 jours environ. En 2019, plus de 200.000 femmes ont subi des violences physiques ou sexuelles (je ne parle pas des violences psychologiques) commises par leur partenaire ou leur ex-partenaire. 18 % seulement ont déposé plainte. Sur la même période, près de 100.000 femmes ont été violées ou ont été victimes d'une tentative de viol. C'est une estimation minimale. 12 % ont porté plainte. Je ne parle pas ici des mutilations sexuelles féminines, du trafic d'être humain, de l'omniprésence de la pornographie dans l'environnement des adolescents (de cette pornographie qui véhicule des images dégradantes de la femme ou une représentation très souvent violente des rapports sexuels...).

Alors, je ne veux pas ignorer les progrès ; je ne veux pas ignorer les prises de conscience ; je ne veux pas ignorer l'attention que portent les institutions à cette situation dramatique : justice, forces de l'ordre, collectivités territoriales, services sociaux, associations (sans parler des médias et plus globalement de la société).

Toutefois, nous sommes très loin du compte.

  • Car encore trop mal armés pour accompagner les victimes qui choisissent de s'exprimer ou celles qui craignent de parler ;
  • Mal armés pour accompagner celles qui sont obligées de quitter le domicile familial en pleine nuit pour rester en vie.


Surtout, nous sommes parfois prisonniers d'une certaine vision de l'histoire. En effet, on croit souvent que l'histoire aurait un sens. Et ce sens serait le progrès continu. Ainsi, nous marcherions chaque jour, siècle après siècle, sur un chemin qui nous mènerait avec constance vers des lendemains qui chantent. Ainsi, les violences faites aux femmes seraient amenées à diminuer mécaniquement chaque année jusqu'à disparaître progressivement (comme jadis le travail des enfants, en Europe tout au moins, a disparu finalement).

Eh bien, je ne partage pas ce point de vue. Car, ne nous y trompons pas... L'humanité n'est jamais à l'abri de retours en arrière... Il suffit d'un confinement lié à un contexte sanitaire particulier pour que les violences conjugales triplent entre le 16 mars et le 10 mai 2020. Il suffit (à l'occasion d'une élection présidentielle) du retour d'idéologies nauséabondes (autant le dire franchement, d'extrême-droite) pour qu'un masculinisme décomplexé fasse de nouveaux convertis ... Et avec lui, son cortège de représentations funestes d'un homme dominateur, puissant, viril, brutal par nature... Des représentations dont les femmes sont toujours les premières victimes.

Dans ce contexte-là, dans ce contexte de coups de boutoir réguliers portés à nos valeurs, à la raison, à notre droit... Dans ce contexte-là, donc, les femmes sont les vigies de notre république. Ce sont par elles que les alertes viennent. C'est ce que disait Simone de Beauvoir quand elle écrivait dans le Deuxième sexe en 1949 :

"N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant."

Car au fond... Les femmes sont toujours les premières victimes de la tyrannie et de la défaite de la raison ;

Ce sont toujours les premières victimes du retour de la force et de la violence sociale ;

Ce sont toujours les premières victimes de la démagogie, de l'obscurantisme, du populisme.

Ce sont leurs droits qu'on défait en premier ;

Ce sont leurs libertés qu'on fragilise en premier ;

Ce sont leur corps qu'on attaque en premier.

C'est donc à l'aune de l'importance que nous accordons au fléau des violences faites aux femmes que nous pouvons juger la santé de notre démocratie.

Alors, je mesure comme vous combien cette journée est importante. Je sais que tous les acteurs réunis ici partagent la nécessité de se parler, de mieux se connaître, de mieux travailler ensemble.

Je sais que nous sommes tous d'accord pour paraphraser Albert Einstein qui disait « le mot progrès n'aura de sens tant qu'il y aura des enfants malheureux » : affirmons qu'il n'aura pas davantage de sens tant qu'il y aura des femmes battues, violées, prostituées ou mutilées.

Je vous souhaite de fructueux échanges. Qu'ils conduisent à nous rappeler sans cesse l'urgence absolue d'agir".